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Saman Kamyab

Résidences
16 04 2016 14:00 18:00

Trifolii

Elle voltigea dans la pièce durant un certain moment avant d’atterrir sur l’écran de son ordinateur. Elle se heurta fébrilement contre la vitre pendant quelques secondes avant de se laisser reposer. À ses yeux, fatigués, la créature voltigeant sans but lui semblait être une indication de son propre état : sans centre et soumis à des influences désordonnées. Non, c'était autre chose. Elle n’avait effectivement pas noté cette connivence entre le comportement du papillon de nuit et sa propre distraction permanente. Elle avait douze ans, ne s’auto-interprétait pas en permanence en considérant son environnement comme autant de métaphores de qui elle était ou comment elle se sentait. Son cerveau n’était pas conscient de ses propres challenges de développement (plus précisément, un lobe frontal détérioré), et elle ne percevait certainement pas son environnement immédiat comme une sorte de miroir esthétisant de ses propres défaut fonctionnels.

La vue du papillon de nuit l’avait néanmoins poussée à interrompre sa lecture. Il semblait presque translucide contre le cadre froid du Labyrinthe : La Terre Brulée, la lueur courbée émanant de son écran transparaissant au travers de sa structure fragile. Elle ferma ses yeux et les couvrit de ses paumes. Ses mains étaient froides. Une fenêtre était entre-ouverte et la température de la pièce était trop basse pour un spectateur passif en manches courtes. Mettre un pull, elle y pensa, mais restait inactive, les paumes contre le visage, durant une minute peut-être. Quand elle enleva finalement ses mains, sa vision était trouble à cause de la légère pression qu’elle avait exercé. Pendant quelques secondes, un léger voile de liquide la séparait du monde nébuleux et incisif de sa chambre. Le papillon de nuit n’avait pas bougé.

Une fois, alors qu’elle était petite, elle en avait attrapé un dans ses mains. Le papillon de nuit avait littéralement fondu en poussière, comme s’il s’agissait seulement d’un tour de magie, pas quelque chose de véritablement vivant. Cette image était idiote, mais avait les caractéristiques affectives d’un cauchemar. En se concentrant elle pouvait entendre son soupir tendu, à peine audible par delà le bruit du ventilateur de l’ordinateur posé sur ses genoux. Inintelligibles, comme autant d’arcanes répandues dans l’atmosphère de sa chambre. Si elle continuait à nourrir le fantasme qui se formait dans son esprit, elle savait qu'elle serait saisie par une peur irrationnelle qui la rendrait incapable de bouger. Elle était déjà dans un état second, rien que l’idée d’attraper le pull reposant sur le dos d’une chaise à seulement quelques centimètres lui semblait impossible. Même le besoin primaire de chaleur ne constituait pas une motivation suffisante pour lui inspirer une action physique.

Consciente mais immobile, comme si elle était suspendue à un animateur accroupi dans l’ombre, mais qui avait perdu tout intérêt, déplaçant son attention sur d’autres choses. Le moindre choc et elle fondrait en poussière. Avec son doigt, elle toucha les ailes du papillon de nuit et ressenti un bref picotement comme un choc électrique minuscule, comme un sursaut de vie. Il décolla, mais virevolta un instant seulement avant de revenir plus ou moins au même emplacement. Pendant ce temps, elle avait frappé l’espace. L’histoire avait repris, les enfants obstinés déambulant dans un monde déserté, zombies enragés et sociétés vicieuses sur leurs rails, ses entrailles se sont ressaisies.

– Stian Gabrielsen

Saman Kamyab vit et travaille à Oslo et Bruxelles. Il a étudié à l'Académie nationale des arts de Bergen et à l’Institut des arts Piet Zwart à Rotterdam. Son travail a été présenté dans des diverses institutions, entre autres à la Malmö Konsthall, Suède ; à la Galerie Exile, Berlin ; et aux Débarquements Projets, Vestfossen, Norvège.

Avec le soutien de Office for Contemporary Art Norway

WIELS Project Room
16.04 – 24.04.2016
Mardi – dimanche, 14:00 – 18:00
Vernissage : 15.04.2016, 18:00 – 21:00

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